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Jean-Luc Seigle – Je vous écris dans le noir

Posted in Jean-Luc Seigle, Littérature with tags , on 9 novembre 2016 by Yvan

Portrait d’une criminelle… victime des hommes !

Jean-Luc Seigle - Je vous écris dans le noir« En vieillissant les hommes pleurent » faisant partie de mes romans préférés, je n’ai pas longtemps hésité à me jeter sur ce nouvel ouvrage où Jean-Luc Seigle se glisse dans la peau de Pauline Dubuisson.

Qui ? Pauline Dubuisson, une fille dont je ne connaissais pas du tout l’histoire, mais qui a visiblement été jugée coupable de tous les maux imaginables lors de son procès devant les Assises de Paris, en 1953. Il faut dire que trois ans plus tôt, elle a vidé son chargeur à bout portant sur Félix Bailly, son ex-fiancé. Le problème est que lors de ce procès qui déclencha les passions, la pauvre fille est traînée dans la boue comme pas possible et livrée à la vindicte populaire. Elle ressort donc non seulement coupable de crime passionnel, mais également coupable d’être la « pute à boches » qui a couché avec un médecin Allemand durant l’occupation (ce qui lui vaudra d’ailleurs d’être tondue, violée et laissée pour morte à l’âge de dix-sept ans à la Libération) et coupable de la mort de son père (héros de Verdun qui a eu la mauvaise idée de se suicider juste après son arrestation). Du coup, Pauline devient la seule femme contre laquelle le Ministère public requiert la peine de mort pour un crime passionnel et, même si elle est finalement graciée après neuf ans de prison, elle ne sera jamais véritablement libre. Sa vie sera notamment immortalisée par le cinéaste Henri-Georges Clouzot, dans un film à scandale intitulé « La Vérité », avec Brigitte Bardot dans le rôle de Pauline. Malgré sa fuite au Maroc sous un autre nom, ce film et son passé viendront inévitablement la rattraper lorsque Jean la demande en mariage à Essaouira… car comment ne pas raconter la vérité à celui qui lui demande de partager le restant de sa vie ? C’est la longue confession par écrit à son futur mari que Jean-Luc Seigle a décidé de réécrire sous forme de roman.

« La perpétuité est un châtiment alors que la mort ne l’est pas. »

L’auteur se glisse donc dans la peau de son héroïne afin de dresser le portrait touchant de la femme qui se cache derrière les faits, derrière l’horreur et derrière ce crime passionnel condamné par tout le monde. Jean-Luc Seigle lui permet d’exprimer la vérité qu’elle avait choisie de taire lors de son procès, offrant non seulement des circonstances atténuantes à ce crime non prémédité, mais dévoilant surtout le portrait d’une fille courageuse et intelligente, victime des hommes en général et d’un père en particulier.

« Ces hommes m’ont plaquée sur la table et m’ont écarté les jambes. Longtemps après je me suis demandé ce qui excitait assez ces hommes pour qu’ils réussissent à avoir des érections si puissantes dans une situation et un cadre qui dégoûteraient tout être normalement constitué.
Ou alors les hommes pouvaient-ils, tous, à un moment donné ou à un autre, être agités par la pire idée de la sauvagerie et du crime sur les femmes. »

Pauline Dubuisson aurait difficilement pu trouver meilleur avocat que Jean-Luc Seigle pour prouver qu’elle n’est pas le monstre et la pute dont la presse parle. À travers ce récit à la première personne tout simplement bouleversant, il nous éclaire sur le parcours tragique de son héroïne. Son style d’une justesse et d’une poésie incroyable permet non seulement de décrire une horreur parfois indicible avec grande dignité, mais s’installe immédiatement au diapason de ce récit d’une incroyable sensibilité qui invite à éprouver de l’empathie envers cette femme aux rêves et à la vie brisés. Si l’auteur fait la lumière sur des faits particulièrement sombres, sans jamais minimiser la culpabilité de Pauline, c’est souvent dans les silences et les non-dits qu’il dévoile les dessous de cette affaire et les sentiments de cette pauvre Pauline… Du grand art !

« Si l’on cache un pan de sa vie, c’est nécessairement parce qu’on le trouve inacceptable pour soi-même. »

Lisez Jean-Luc Seigle !

Jean-Luc Seigle – En vieillissant les hommes pleurent

Posted in Jean-Luc Seigle, Littérature with tags on 14 avril 2014 by Yvan

Un chef-d’œuvre bouleversant !

Jean-Luc Seigle - En vieillissant les hommes pleurentProbablement poussé par l’envie de vérifier si je me fais déjà vieux… j’ai immédiatement été attiré par le titre mielleux de ce livre de Jean-Luc Seigle, lauréat du Prix RTL-Lire.

L’histoire se déroule au début des années 60, dans un petit village près de Clermont-Ferrand et invite à suivre une journée de la vie d’Albert… une journée qui suffira à dresser le bilan de toute une vie… en toute simplicité, mais de façon magistrale.

Tout à l’heure je ne serai plus. Je ne serai plus ce que je suis maintenant et que je n’aime pas être. Je n’aime pas qui je suis. Je n’aime pas ce qu’il faudrait que je sois, je n’aime pas me réjouir de cette vie-là, je ne suis pas de cette vie, je suis d’un autre temps que je n’ai pas su retenir.

Albert est un homme fatigué et taiseux. Épuisé par son boulot d’ouvrier de nuit chez Michelin, largué par ce monde qui évolue trop vite pour lui, Albert souffre, mais ne dit rien. Du remembrement des terres agricoles par de Gaulle à l’arrivée du premier poste de télévision dans sa demeure, en passant par la course à la modernité entamée par sa femme Suzanne qui cherche ainsi à s’extirper de sa condition de femme au foyer, Albert n’arrive plus à suivre ce temps qui s’écoule, tout en emportant lentement sa vieille mère usée par le labeur et les fausses couches. Épuisé par cette vie monotone qui a défilé sans qu’il puisse en profiter, Albert aimerait tirer sa révérence. Il reste pourtant tellement de choses à dire, tellement de sentiments à exprimer, tellement de vérités à hurler… ah, si seulement Albert ne s’était pas muré dans le silence et la honte depuis qu’il a été fait prisonnier sur la ligne Maginot en juin 1940. Peut-être aurait-il pu coller des mots sur l’amour qu’il porte à ses enfants ou sur le respect qu’il éprouve pour sa mère?

Les dates, si on y réfléchit bien, ne sont qu’une manière de donner des noms au temps pour ne pas se perdre. Rien de plus.

« En vieillissant les hommes pleurent » est une histoire simple sur le temps qui passe et sur les regrets d’une vie à côté de laquelle il est si facile de passer. C’est un ouvrage sur l’amour familial qui a du mal à s’exprimer à travers les mots, mais qui se retrouve dans les non-dits et les gestes… que ce soit la toilette d’une mère en fin de vie ou le sacrifice qui permet d’extraire un fils de la guerre d’Algérie, tout en donnant au cadet l’opportunité d’accomplir la destinée dont il rêvait. Ce roman exprime également la volonté de l’auteur de réhabiliter la mémoire des soldats de la Ligne Maginot, comme en témoignent les dernières pages du livre, qui viennent corriger ce mensonge historique de manière aussi touchante que didactique. Jean-Luc Seigle pointe également du doigt cette télévision qui invite quotidiennement la guerre dans l’intimité de nos maisons, tout en soulignant les possibilités d’évasion qu’offre la littérature au cadet des fils d’Albert.

Les mots étaient enfermés dans sa tête et ne glissaient que très rarement jusquà sa bouche. Ce soir, ils sortaient abondamment de ses yeux. Jamais il n’avait aimé autant pleurer que cette nuit-là (….)

J’ai été bouleversé par la justesse avec laquelle l’auteur décrit les émotions enfouies au sein de cette famille et je suis jaloux de cette fluidité d’écriture qui témoigne d’un amour profond de la langue française. Cette narration qui allie puissance, richesse et efficacité extrême est d’une beauté rare et constitue l’une des grandes forces de ce roman.

Les phrases étaient comme des routes de montagne avec des virages qui s’enchaînent les uns aux autres et au bout desquels se révèlent des paysages magnifiques.

Et oui… ayant eu plusieurs fois les larmes aux yeux, je referme donc cette lecture avec le lourd constat que je commence à vieillir…