Archive pour Asie de l’Est

Jeanne Benameur – La patience des traces

Posted in Jeanne Benameur, Littérature with tags , , on 9 mars 2022 by Yvan

Un havre de paix !

Jeanne Benameur – La patience des tracesLorsque Simon Lhumain laisse tomber le bol de faïence bleue dans lequel il boit son café chaque matin, quelque chose se brise également en lui. Psychanalyste attentif, il a passé sa vie à réparer les autres, mais en voyant le bol de son ami d’enfance en deux morceaux sur le sol de sa cuisine, il réalise qu’il a oublié de s’écouter lui-même. Lui qui n’a jamais voyagé, décide alors de tout quitter pour se rendre dans les îles japonaises de Yaeyama où, accueilli par madame Itô et son mari Daisuke, il va prendre le temps de nettoyer les traces laissées par le temps au plus profond de son être…

Ah, Jeanne Benameur (« Otages intimes », « Ceux qui partent ») ! Quand le monde part en sucette, que l’on se retrouve à l’aube d’une troisième guerre mondiale, la rétine saturée d’images horribles, à l’instar du héros de ce roman, il est bon de pouvoir aller se réfugier dans un havre de paix, au cœur des mots déposés avec délicatesse par Jeanne Benameur. Enfin au calme, me laissant bercer par la poésie de ses phrases et prenant le temps de me concentrer sur les silences qu’elle installe avec patience, je me libère du bruit environnant, totalement zen. Merci Jeanne, j’en avais besoin !

Jeanne Benameur c’est une plume délicate, douce, élégante et poétique qui invite à suivre la psychanalyse d’un homme qui prend enfin le temps de renaître dans un pays de traditions qui s’y prête parfaitement. C’est avec plaisir que l’on s’installe en compagnie de madame Itô, qui collectionne les tissus anciens, et de son mari spécialiste de l’art du Kintsugi, qui consiste à réparer les céramiques brisées, non pas en masquant les fêlures, mais en les embellissant au moyen de laque saupoudrée de poudre d’or. C’est donc réparé et plus beau que l’on ressort de ce roman de Jeanne Benameur…

Vous aussi, prenez une pause, laissez Jeanne Benameur allonger le temps, déposer sa prose au ralenti, offrir ce magnifique moment de respiration, tout en vous invitant à partir à la recherche de vous-même…

La patience des traces, Jeanne Benameur, Actes Sud, 208 p., 19,50€

Ils/elles en parlent également : Matatoune, Bénédicte, Nathalie, Jostein, Tours & culture, Mon petit carnet de curiosités, Librairie Diderot, Baz’Art

Akira Mizubayashi – Âme brisée

Posted in Guerre, Littérature with tags , , on 9 octobre 2021 by Yvan

Prix des libraires 2020 !

Akira Mizubayashi – Âme briséeC’est avec un peu de retard que je me suis attaqué à ce roman de l’écrivain japonais Akira Mizubayashi, couronné par le Prix des Libraires 2020.

L’âme qui se retrouve brisée est celle du violon de Yu Mizusawa, à Tokyo, en 1938. Ce dernier avait osé jouer une œuvre de Schubert en compagnie de trois étudiants chinois restés au Japon malgré les prémices de la guerre sino-japonaise. En entendant le bruit des bottes des militaires entrant dans le centre culturel municipal de Tokyo, Yu a le réflexe de cacher son fils Rei, âgé de 11 ans, dans une armoire. Par le trou de la serrure, le gamin voit les soldats fracasser le violon de son père et embarquer le quatuor. Quelques instants plus tard, le lieutenant Kurokami, grand mélomane, découvre la cachette de l’enfant, mais ne trahit pas sa présence et lui confie même les débris de l’instrument de son père…  

« L’âme brisée » est l’histoire d’une reconstruction. Celle d’un gamin qui mettra toute sa vie à comprendre les aboutissants de cet évènement tragique qui le sépara à jamais de son père, mais également celle d’un luthier qui vouera toute sa vie à la restauration d’un violon pourtant jugé irrécupérable. Un roman sur le déracinement, sur les origines et sur la musique qui traverse les époques et véhicule les émotions au-delà des guerres…  

Si l’auteur nippon, tombé amoureux de la langue française au point d’écrire celui-ci directement en français, livre un roman classique au style simple et dépouillé, il ne délaisse pas pour autant ses origines et baigne son œuvre dans la poésie et la délicatesse de la culture japonaise. Malgré le déchirement provoqué par la scène initiale et la noirceur qui entoure toute guerre, Akira Mizubayashi demeure positif tout au long du récit et ne s’attarde pas trop sur les fausses notes de l’humanité…  

Âme brisée, Akira Mizubayashi, Gallimard, 244 p., 19 €

Vous aimerez également: « Le Stradivarius de Goebbels » de Yoann Iacono, « Corps et âme » de Frank Conroy, « Le Piano oriental » de Zeina Abirached

Ils en parlent également : Mumu, Sophie, Emi lit, Natiora, Chill & Art, Marguerite, Anne-Sophie, Gigi, Mélanie, Page après page, Cannetille, Ghislaine

Aki Shimazaki – Sémi

Posted in Littérature with tags , on 1 juin 2021 by Yvan

Dans les méandres de la mémoire !

Aki Shimazaki – Sémi« Sémi » est le deuxième volet du nouveau cycle d’histoires courtes d’Aki Shimazaki, entamé l’année dernière avec « Suzuran »… qu’il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’avoir lu avant d’entamer celui-ci.

Mariés depuis cinquante ans, Tetsuo et Fujiko vivent dorénavant dans une résidence pour personnes âgées. Souffrant de la maladie d’Alzheimer, Fujiko se réveille un matin en prenant son mari pour son fiancé. Un saut dans le temps qui va progressivement mettre à jour des secrets profondément enfouis…

Avec « Sémi » Aki Shimazaki propose un regard original sur cette maladie neurodégénérative habituellement présentée comme une tragédie de fin de vie, mais offrant ici également une opportunité de réparer les blessures du passé, ainsi qu’une seconde chance à leur amour.

A l’instar de sa pentalogie « Le poids des secrets », Aki Shimazaki lève à nouveau le voile sur des secrets de famille, tout en faisant le lien avec la nature dès la couverture, à l’image de cette cigale dont les larves demeurent durant des années sous terre, parfois jusqu’à quinze ans, pour ne finalement déployer leurs ailes que durant un bref instant…

Cette superbe métaphore, évoquant l’éphémérité de leur amour finalement libérée après avoir été enfouis sous de lourds secrets durant tant d’années, s’installe au diapason de l’écriture délicate et poétique d’Aki Shimazaki.

Un récit plein d’humanité qui déborde de cette poésie et sobriété propre à la culture nippone.

Sémi, Aki Shimazaki, Actes Sud, 160 p., 15€

Ils en parlent également : Au fil des livres, La flibuste des rêveurs, La petite araignée, Le nez dans les livres, Mimi, Léa

Haruki Murakami – Le Meurtre du Commandeur (Livre 2)

Posted in Littérature with tags , on 12 mai 2021 by Yvan

Une conclusion (trop) fantastique !

41YZjgSQoyL._SX195_« Le Meurtre du Commandeur » invite à suivre les pas d’un peintre en mal d’inspiration. Lorsque sa femme lui annonce qu’elle veut divorcer, il quitte Tokyo et trouve refuge à Odawara, dans la maison de Tomohiko Amada, célèbre peintre japonais, grand spécialiste de la peinture traditionnelle japonaise, le nihonga. C’est là, isolé de tous au sommet d’une montagne, que Wataru Menshiki, un homme riche et mystérieux, lui propose une somme exubérante pour exécuter son portrait…

Après une première brique de 500 pages qui faisait office d’introduction, cette suite permet de retrouver les personnages intrigants et hauts en couleurs imaginés par Haruki Murakami. Du narrateur au charismatique Wataru Menshiki, en passant par le petit commandeur ou le mystérieux inconnu à la Subaru blanche, les personnages de Murakami continuent de captiver le lecteur de la première à la dernière page.

À l’instar du premier volet, le rythme de cette suite est à nouveau très lent et le style particulièrement descriptif et répétitif. Cette capacité typiquement nippone qui consiste à restituer des émotions profondes en capturant avec brio les silences et les non-dits, ces petites choses insignifiantes du quotidien qui font tout le sel de la vie, fait donc à nouveau mouche.

Le plus gros changement par rapport au tome précédent est la part de fantastique qui prend plus de place, à l’image du voyage improbable effectué par le narrateur. De cette clochette bouddhiste qui tintait dans la nuit à cette idée qui prenait forme sous les traits d’un petit personnage grotesque, en passant par cet homme sans visage qui réclamait son portrait dès le prologue, Haruki Murakami insufflait déjà une solide touche de surnaturel lors du tome précédent, mais le passage effectué par le narrateur dans un « autre monde » m’a un peu trop déstabilisé. Si les phénomènes étranges parvenaient à entretenir le mystère lors du tome précédent, mon esprit (trop) cartésien a eu plus de mal avec cette conclusion qui abandonne le lecteur avec plusieurs fils narratifs ouverts et des explications finalement assez irrationnelles.   

J’ai également eu un peu de mal avec l’obsession croissante du narrateur vis-à-vis des poitrines des personnages féminins et j’ai trouvé dommage qu’il peigne moins sur la fin car Haruki Murakami a un véritable talent pour décrire le processus de la création artistique, comme si chaque tableau prenait vie sous nos yeux tout en dévoilant la nature profonde du créateur et de son sujet.

Bref, malgré un aspect symbolique plus appuyé et des pensées philosophiques particulièrement intéressantes, le manque d’ancrage avec la réalité m’a un peu trop déstabilisé lors de cette suite.

Le Meurtre du Commandeur, Haruki Murakami, Belfond, 456 p., 23,90€

Ils en parlent également : Zagaducgsette, ClaireElodieCélineCharlotteAnne-SophieSamurai NekoPage après pageLa bibliothèque de Déols

Haruki Murakami – Le Meurtre du Commandeur (Livre 1)

Posted in Littérature with tags , on 7 mars 2021 by Yvan

Une mise en place signée Murakami !

Haruki Murakami - Le Meurtre du Commandeur (Livre 1)« Le Meurtre du Commandeur » invite à suivre les pas d’un peintre en mal d’inspiration. Lorsque sa femme lui annonce qu’elle veut divorcer, il quitte Tokyo et trouve refuge à Odawara, dans la maison de Tomohiko Amada, célèbre peintre japonais, grand spécialiste de la peinture traditionnelle japonaise, le nihonga. C’est là, isolé de tous au sommet d’une montagne, que Wataru Menshiki, un homme riche et mystérieux, lui propose une somme exubérante pour exécuter son portrait…

Si, a priori, il ne se passe pas grand-chose tout au long des 450 pages de ce premier volet, que le rythme est particulièrement lent et que le style s’avère descriptif et répétitif, Haruki Murakami parvient tout de même à nous tenir en haleine. À l’instar de nombreux auteurs nippons, il parvient à restituer des émotions profondes en capturant avec brio les silences et les non-dits, ces petites choses insignifiantes du quotidien, qui font tout le sel de la vie. Sans parler de sa capacité à décrire avec grande justesse le processus de la création artistique, comme si chaque tableau prenait vie sous nos yeux tout en dévoilant la nature profonde du créateur et de son sujet.

Puis, il y a cette touche de surnaturel, ces phénomènes étranges intégrés au réel avec un naturel presque déstabilisant. De cette clochette bouddhiste qui tinte dans la nuit à cette idée qui prend forme sous les traits d’un petit personnage grotesque, en passant par ce tableau dissimulé dans le grenier ou cet homme sans visage qui réclame son portrait dès le prologue, Haruki Murakami entretient le mystère, donnant envie de découvrir la suite au plus vite.

Finalement, il y a cette capacité à brosser des personnages intrigants et hauts en couleurs, que les lecteurs auront du mal à abandonner en fin d’ouvrage. Du narrateur au charismatique Wataru Menshiki, en passant par le petit commandeur ou le mystérieux inconnu à la Subaru blanche, les personnages de Murakami captivent du début à la fin.

Alors oui, il est assez frustrant de constater que les 450 pages de ce premier volet ne sont finalement qu’une mise en place, mais c’est l’envie de s’attaquer immédiatement à la suite qui l’emporte finalement haut la main.

Le Meurtre du Commandeur, Haruki Murakami, Belfond, 456 p., 23,90€

Ils en parlent également : Claire, Elodie, Céline, Charlotte, Anne-Sophie, Samurai Neko, Page après page, La bibliothèque de Déols

Ogawa Ito – La papeterie Tsubaki

Posted in Littérature with tags , on 24 mars 2019 by Yvan

Prendre le temps d’écrire !

Ogawa Ito - La papeterie Tsubaki« La papeterie Tsubaki » invite à suivre les pas d’une jeune femme de vingt-cinq ans qui revient dans le quartier de son enfance afin d’y reprendre la papeterie de sa grand-mère. Elle n’hérite cependant pas uniquement d’un commerce, mais également d’un métier pour lequel elle a été formé à la dure, celui d’écrivain public…

« La papeterie Tsubaki » plonge le lecteur dans l’univers raffiné de la calligraphie japonaise, allant des différents systèmes d’écriture (hiragana, katana, kanji) au respect de coutumes issues d’une époque qui n’était pas encore numérique. Initiée dès le plus jeune âge aux règles de cet art, Hatoko soigne chacune de ses missions jusque dans les moindres détails, du choix des outils d’écriture à la texture du papier, en passant par la couleur de l’encre, les tampons, l’enveloppe et même le timbre. Sans oublier le choix des mots et des formules de politesse en fonction de la demande et du besoin de nuancer certains propos. Tout un art !

Au fil des demandes, Hatoko jette également un nouveau regard sur cette grand-mère rigide et exigeante, qui lui a finalement appris tant de choses… dont ce métier qui lui permet dorénavant d’entrer dans la vie des gens et de leur procurer un peu de bonheur. En suivant Hatoko, le lecteur est également inviter à effectuer une balade contemplative dans la ville de son enfance, découvrant les différents sanctuaires, les jardins et les lieux où se restaurer…

Bref, si vous rechercher le suspense, l’action ou une intrigue capillo-tractée… passez votre chemin. Par contre, si vous appréciez le style nippon et les ambiances contemplatives, ce récit tout en délicatesse devrait vous plaire, surtout si vous préférez recevoir une belle lettre bien écrite plutôt qu’un tweet ou un e-mail en langage SMS.

La papeterie Tsubaki, Ogawa Ito, Picquier, 384 p., 20€

Ils en parlent également: Juste Lire, Des bulles et des mots, Mumu dans le bocage, BookManiac, Hanae part en livre, Des Femmes dans ma bibliothèque, La liseuse et la théière, Plumes et pages, Les libraires masqués du Grenier, Nom d’un bouquin!, MissBook, Le blog de Krol, Les histoires de Lullaby, MHF, A book is always a good idea, Stephalivres, Temps des mots, Mon petit carnet de curiosités, La Bulle de Realita, Les liseuses, L. bouquine, Claire, Horizons lectures, Journal du Japon

Jackie Copleton – La Voix des vagues

Posted in Guerre, Littérature with tags , , on 25 juillet 2018 by Yvan

40 ans après Nagasaki !

Jackie Copleton - La Voix des vaguesCe premier roman de Jackie Copleton débute aux États-Unis, en compagnie d’une veuve solitaire, habituée à noyer ses souvenirs sous une bonne dose d’alcool. Lorsqu’un homme au visage défiguré frappe à sa porte et lui annonce être son petit-fils, elle refuse d’y croire, mais se retrouve contrainte d’ouvrir une brèche dans la carapace qu’elle s’est forgée au fil des ans… depuis le jour où l’Amérique a bombardé Nagasaki et tué son petit-fils. C’était le 9 août 1945, à 11 heures 02…

« La voix es vagues » est tout d’abord une histoire de famille qui se déroule sur trois générations. Au fil des pages, les souvenirs de la grand-mère nippone reviennent douloureusement à la surface, dévoilant des secrets enfouis, des amours interdits, ainsi que la tragédie qui a saccagé sa ville. Au-delà d’une histoire familiale, l’auteure, qui a été enseignante au Japon, à Nagasaki, livre également l’histoire dramatique de tout un pays. À l’image des termes typiquement japonais qui introduisent chacun des chapitres, Jackie Copleton propose un récit qui déborde de cette poésie propre à la culture nippone et qui regorge de détails sur les coutumes et les traditions de cette nation pleine de retenue, de fierté et de dignité.

Si vous avez aimé le “Poids des secrets” d’Aki Shimazaki, vous allez également adorer ce roman sensible et bouleversant, où les petites histoires de personnages attachants s’inscrivent dans la grande Histoire du Japon.